Le président de l'ACAF présente ses observations sur le manque de FI (Ottawa Citizen)
Ce document a été traduit en français pour votre accessibilité.
Une crise de gestionnaires financiers dans la FP
Un ancien mandarin attribue la pénurie à des lacunes de recrutement et de formation
Kathryn May
Ottawa Citizen
La pénurie de personnes possédant le type requis de compétences en matière de finances au sein du gouvernement fédéral pose un grave problème pour la fonction publique en période de récession économique, avertissent les experts.
Charles-Antoine St-Jean qui, jusqu’à l’année dernière, était contrôleur général du Canada a déclaré que le gouvernement est aux prises depuis des années avec une pénurie de professionnels de la comptabilité et des finances.
Il craint que cette pénurie puisse miner la capacité du gouvernement de maîtriser ses véritables coûts en ce début de période d’incertitude économique.
Cette pénurie devient cruciale si les ministères sont obligés de faire des choix de dépenses au fur et à mesure que les recettes de l’État diminuent.
« Le gouvernement ne dispose pas de suffisamment de personnes, pas plus aujourd’hui que durant les périodes de croissance; ainsi, en période de récession, le fossé s’accentue. En période de récession, il faut même de plus grandes compétences et une meilleure information fin de pouvoir prendre les bonnes décisions, et il n’en a pas suffisamment. Lorsque les ressources se font rares, il faut les utiliser à bon escient », a déclaré M. St Jean, qui a dirigé une série de réformes de la gestion financière avant de retourner à l’exercice privé.
La pénurie est attribuable à des années d’omission de recruter ou de former suffisamment d’agents financiers qualifiés pour s’occuper des complexités de la gestion de fonds au sein du gouvernement. Jusqu’à il y a deux ans, le gouvernement n’exigeait même pas de formation formelle pour ses agents financiers – même l’agent principal des finances – par ex., un titre de comptable agréé, de comptable général accrédité ou de comptable en management accrédité. Ce sera désormais obligatoire pour tous les APF d’ici 2009-2010.
- St-Jean avait été recruté au lendemain du scandale des commandites afin de réorganiser la gestion financière et la vérification interne au gouvernement dont les effectifs avaient été dégarnis par suite des exercices de compression des Libéraux au cours des années 1990. M. St-Jean a œuvré en faveur de la nomination d’agents principaux des finances accrédités, qui sont maintenant en place dans les trois quarts des 25 ministères les plus importants. Il s’agit d’un progrès marqué par rapport à la situation d’il y a plusieurs années, où seulement trois étaient accrédités.
« Ce devrait être 100 %. Il faudrait qu’il y en ait dans tous les ministères », a déclaré M. St-Jean. « Les plus grands ministères sont tous des entreprises d’un milliard de dollars et ils doivent être gérés par des personnes possédant des titres professionnels. Cela envoie un message important », a-t-il ajouté.
Les hauts bureaucrates sont aussi inquiets au sujet de la disette d’expertise financière, en particulier du fait que le gouvernement Harper vient de faire des sous-ministres des « agents comptables » qui sont personnellement responsables de la gestion financière de leurs ministères respectifs. Un sondage de 2006 du Forum des politiques publiques auprès des hauts bureaucrates a révélé que la majorité d’entre eux estimaient ne pas posséder des « compétences en finances » suffisantes pour leurs postes.
Cependant, le Canada n’est pas le seul. Une récente étude de Deloitte Touche dans 28 pays a révélé que seulement le tiers des dirigeants gouvernementaux estiment qu’ils possèdent l’expertise financière nécessaire pour s’occuper de crises économiques et d’autres questions stratégiques émergentes, comme les soins de santé et les pensions.
Ils déclarent qu’ils ne disposent pas de données opportunes, fiables et exactes pour prendre des décisions et que leurs gestionnaires de programmes ne comprennent pas les coûts totaux des programmes qu’ils exécutent ou les résultats à atteindre. Les gouvernements ont amplement de « gestionnaires » et d’ « opérateurs » qui peuvent s’occuper des livres et du fonctionnement des ministères, mais ils ont besoin de « stratégistes » et de « catalyseurs » capables de fournir l’analyse, l’introspection et l’analyse de rentabilité voulues pour peser les options stratégiques, a déclaré Andy Potter, partenaire associé chez Deloitte et Touche.
« Une meilleure gestion financière est la condition préalable de tout bon gouvernement », a-t-il déclaré.
Le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, a passé le même message dans son récent rapport sur le coût de la guerre en Afghanistan. Son étude a fait ressortir que les ministères fonctionnaient avec des données incomplètes, de mauvais renseignements et des systèmes comptables archaïques, qui masquaient les véritables coûts de la guerre et d’autres grands projets.
Ce genre d’information devient crucial en période de récession économique, où les recettes fiscales sont lentes et chaque dollar de programme compte. Les bureaucrates se déclarent résolus à procéder à des « révisions stratégiques » dynamiques pour trouver des compressions de dépenses dans des programmes et activités qui pourraient être « réaffectées » ou déplacées afin de consolider l’économie et de mettre plus d’argent dans les mains des consommateurs et des entreprises.
« Enron et les autres effondrements financiers ont contribué à sensibiliser à l’importance des systèmes comptables et de l’information exacte dans la prise de décisions. Sans eux, le gouvernement apportera des compressions à l’aveuglette », a déclaré Ian Lee, qui dirige le programme de MBA à la Carleton University’s Sprott School of Business.
« Le gouvernement doit connaître les coûts véritables des programmes pour faire des compromis dans les choix stratégiques. Comment peut-on acheter une auto si on ne connaît pas le prix, le kilométrage et les frais de financement pour comparer et prendre une décision éclairée? »
Le gouvernement compte à l’heure actuelle environ 3 800 agents financiers, et presque tous détiennent un diplôme en commerce ou un titre professionnel, a déclaré Milt Isaacs, président de l’Association canadienne des agents financiers.
- St-Jean estime que le gouvernement en a besoin de 1 000 de plus, en particulier du fait que les ministères perdent chaque année environ 15 % d’agents expérimentés qui prennent leur retraite.
Toutefois, M. Isaacs déclare que le gouvernement devrait presque doubler son nombre actuel d’agents financiers qui sont tellement surchargés de travail qu’ils ne parviennent à faire que l’essentiel. Il fait valoir que le problème plus grave, c’est que les ministères sont remplis de milliers de personnes qui exécutent des fonctions d’agents financiers même s’ils ne satisfont pas aux exigences du poste.
Le gouvernement n’a jamais réussi à attirer les jeunes loups et louves titulaires de MBA qui se tournent massivement vers les salaires faramineux et les trains de vie prestigieux des spécialistes des services de banques d’investissement sur Wall Street et Bay Street. Un comptable accrédité ou un titulaire de MBA pourrait aussi gagner beaucoup plus d’argent dans une entreprise qu’au gouvernement, où les salaires débutent à 60 000 $ et sont plafonnés à 104 000 $. L’obligation d’être bilingue constitue un autre désincitatif.
Les éléments prometteurs des finances et des affaires ne sont pas intéressés à travailler dans les systèmes comptables archaïques du gouvernement. Le gouvernement utilise encore un mélange de comptabilité de trésorerie et de comptabilité d’exercice. Les Comptes publics et le budget utilisent la comptabilité d’exercice, mais le gouvernement a recours à la comptabilité de trésorerie lorsqu’il demande au Parlement des fonds à dépenser.
C’est donc dire que les ministères continuent de gérer leurs activités sur une base de trésorerie plutôt que d’utiliser la comptabilité d’exercice comme le font toutes les autres entreprises au pays. Les écoles n’enseignent même plus la comptabilité de trésorerie, qui est dépassée.
Le gouvernement sera aussi déphasé lorsque le reste du pays passera aux Normes internationales de présentation de l’information en 2011, en remplacement des principes comptables généralement reconnus au Canada pour toutes les sociétés cotées en bourse, les institutions financières et les maisons de courtage des valeurs.
« Une nouvelle génération de comptables sort de l’université, formée en vue du XXIe siècle, et on lui demande de travailler avec des normes comptables du XXe siècle. Il s’agit d’une grave lacune. Si vous voulez attirer des personnes et être un employeur de prédilection, vous devez alors faire preuve de leadership à cet égard », a conclu M. St Jean.
La carte de qualification pour les postes supérieurs convoités du gouvernement, c’est l’expérience stratégique, non pas les finances. Dans le secteur privé, l’APF est le deuxième cadre de direction le plus puissant, mais il tombe beaucoup plus bas dans l’ordre hiérarchique de la bureaucratie. M. Isaacs déclare que cette culture doit changer. Les agents financiers sont considérés comme un « mal nécessaire » au gouvernement et ils sont souvent exclus du cercle intérieur de la haute direction.
Toutefois, M. Lee est d’avis que la crise du crédit mondiale qui coûte des milliers de postes sur Wall Street pourrait se révéler un bienfait pour les gouvernements qui cherchent à recruter des titulaires de MBA et d’autres diplômés en finances. Il ajoute que Carleton envisage même de personnaliser un programme de MBA pour les bureaucrates.
Le grand risque pour les gouvernements, c’est que les décisions stratégiques reposant sur de mauvais renseignements pourraient alimenter la méfiance à l’égard du gouvernement qui empoisonne les banques et les marchés financiers, a déclaré M. Isaacs.
« Si le gouvernement ne règle pas ce problème, celui-ci viendra le mordre par derrière et nuire à l’économie et aux Canadiens. Nous courons les mêmes risques que les banques, et il en coûtera beaucoup moins cher pour régler le problème que de ne rien faire du tout. C’est un cancer silencieux : Si les gens perdent confiance en la capacité de gestion du gouvernement, ils n’investiront pas et nous pourrons regarder notre dollar baisser, les taux d’intérêt grimper. Les gens en ressentiront les répercussions. »